"Ca va là haut?", histoire de centimètres.

On avait dit à Edith Piaf qu'elle était une grande artiste. Elle avait répondu naïvement, "c'est parce que j'ai mis des talons". Eh bien, moi les talons je n'ai pas besoin d'en mettre. La comparaison s'arrête là, merci. 

Je fais partie de ces filles que l'on ne regarde pas souvent de haut. Forcément, quand vous faites plus d'1m75, très peu de personnes se permettent de vous dire avec une voix niaise "mais tout ce qui est petit est mignon tu sais!". On a pas encore fait l'équivalent de cette connerie de proverbe pour les grands. Non. Surtout quand c'est une fille, la première réflexion qui sort de la bouche des gens c'est "mais tu fais du combien en taille de chaussures?". J'ai tendance à leur répondre que c'est assez grand pour que je leur colle mon pied au cul. 

Petite déjà, enfin ado, à l'époque où tous les regards se tournent vers vous pour un rien, je dépassais ceux de ma classe. Grande, pas de seins, avec les rondeurs de l'enfance, tout était réuni pour que ça fasse de moi un extraterrestre. Pas question de sortir avec des garçons plus petits non ! J'avais l'impression de les écraser quand je me mettais sur leurs genoux... 

Les moqueries sont allées bon train. "Ca va là haut?" me demandait-on à peu près 457 fois par jour, quand j'avais le malheur de mettre des bottes avec 0.5 centimètres de talons. Bah ouais, forcément, quand vous dépassez tout le monde, la moindre des choses, le minimum de respect, c'est de vous contenter de ce que vous avez, et de ne pas essayer de grandir encore non mais. 

Mais que je sois aussi grande ne semblait choquer qu'eux. Les gens y trouvaient une certaine utilité, particulièrement au supermarché quand il faut attraper le truc tout en haut d'un rayon. Là où certains devaient déployer des trésors d'acrobatie, moi je n'avais qu'à tendre le bras. C'était un début de fierté, ne riez pas. 

Puis est venu le temps de la fille presque femme. Celle qui désire bien s'habiller, et forcément, mettre des talons, que ce soit pour une journée, un soir, une nuit. Fan inconditionnelle de chaussures, supportrice sans failles de Sex and The City, ceux qui me faisaient rêver portaient le doux nombre de 12 centimètres. On parle bien de talons, je t'entends penser vieux cochon, oui, toi dans le fond. Mais forcément, quand vous frôlez le mètre quatre vingt, passer d'un coup à la taille d'un bébé girafe, ça déclenche les regards chez les gens. A part les mettre pour aller jouer au basket et me rapprocher du panier, je voyais mal comment je pourrais supporter ces moqueries sur mon passage. Déjà que sur la moitié des photos, c'est moi qui avait le rôle d'Averell, vous savez le Dalton débile et immense de Lucky Luke, là je me rapprochais plus de la tour de contrôle que d'une vraie femme. 

Je suis donc redescendue d'un étage. Entre 5 et 8 centimètres, paraît que c'est une taille acceptable. Rassurez vous, ça n'empêche pas les chuchotements. Une fois, alors que je portais des compensées au supermarché, je me souviens d'un mec qui m'a suivie en marmonnant dans sa barbe. Déjà que c'était flippant, c'est devenu carrément effrayant quand j'ai compris ce qu'il disait. "Trop grande, trop grande, trop grande..." qu'il répétait cet abruti. 

Avec les garçons, c'était toujours la même histoire. S'ils étaient de la même taille ou plus grands, ça allait. Mais gare à celui qui ne faisait ne serait-ce qu'un demi centimètre de moins... Dans les reflets des vitrines, j'avais l'impression que c'était moi l'homme. Horrible, comme sentiment, même quand on est une femme forte et indépendante, on a envie d'avoir cette impression d'être protégée. Ouais, on est un peu irrationnelles sur ce plan là. Ne cherchez pas à comprendre. 

Avec le temps, j'ai appris à relever la tête. Hop, un demi centimètre de plus. Si les gens se retournaient sur mon passage, c'était bien qu'il y avait quelque chose à remarquer. C'est devenu un jeu, une provocation. Aujourd'hui, et même si de temps en temps je me prends à penser que je serais mieux avec cinq centimètres de moins, j'assume ma taille, je mets les tailles de talons qui me font envie, même si je domine la foule. C'est quand même pratique d'être au dessus de la mêlée, les odeurs d'une aisselle juste au niveau de ta tête, moi je ne connais pas. Alors la réponse est : "oui ça va super là haut!".