Le schizophrène sentimental

Là, on touche un point sensible. Je commencerais par dire que je ne peux pas lui en vouloir. Oui, je l'aime tellement que je parviens à étouffer ma douleur pour le comprendre et, surtout, le pardonner. De toutes façons, je suis moi aussi une schizophrène sentimentale : je veux être une femme aimante, installée dans une relation stable, être une femme forte et indépendante, être une femme frivole qui plait aux hommes, être celle qui plaque tout pour partir loin sans au revoir. Parfois tout à la fois,..

Alors je ne lui en veux pas.

Je ne lui en veux pas de m'avoir écrit sur un site de rencontre et de m'avoir tant fait rire. Je ne lui en veux pas de m'avoir promis qu'il trouverait un restaurant japonais pour moi qui ne connais pas la ville et de ne l'avoir jamais fait. Je ne lui en veux pas de m'avoir fait passer une journée merveilleuse, sous un soleil de plomb, à boire des bières et découvrir que nous avions tant en commun. Je ne lui en veux pas de m'avoir dit qu'il voulait me revoir le soir, de m'avoir fait faire le tour de ses bars préférés. Je ne lui en veux pas de m'avoir répété qu'il n'arrivait pas à me deviner, me poussant à lui faire comprendre par notre premier baiser que je le voulais déjà dans ma vie.

De la suite non plus, je ne lui en veux pas. Nous avons dormi ensemble sans qu'il ne se passe rien et au réveil, je lui lançait un "Pff, on n'a même pas fait l'amour, ça ne sert à rien." Lui de me répondre que ce n'est pas ce qu'il veut avec moi. Mon schizophrène me plait encore plus. Mais il travaille les nuits pendant une longue période, et son mutisme est parfois brisé par de petits messages me rappelant à lui : "Tu ne m'écris pas beaucoup. Pas de nouvelles ?" Alors mon coeur se met à battre plus fort : il pense à moi, c'est évident.

Puis un jour, il réapparaît, ne travaillant plus la nuit. Je lui manque, il veut me revoir. Le schizophrène ose me demander si j'ai eu des relations depuis lui. Je lui mens, je refuse qu'il s'enfuie. Et nous nous revoyons, et nous sommes couple devant mes proches, "trop beaux" il paraît. Et nous filons la nuit, ensemble, sans compter les heures. Au matin, c'est en taxi qu'il me ramène chez moi et rentre retrouver ses draps.

Silence.

Silence.

Alors j'explose, moi je l'aime déjà, comment peut-il me faire ça ? Je le lui dit, je refuse de l'attendre dans le noir. Il est déçu mais ne pense pas être prêt pour le couple. Alors c'est fini.

Soit. Mais non. Ce ne serait pas drôle. Le schizophrène me réécrit, des mois plus tard : il a merdé et aimerait que je l'appelle. Mais ne répond pas. Je crois mourir à chaque pas, ce jour-là. Et je le hais de tout mon amour. Je vous jure que je l'ai haï un peu.

J'oublie un peu. Je vis, tranquillement (ou presque). Et un soir, alors que je l'avais deviné, je le croise. Je me suis effondrée : il était là, devant moi, beau comme jamais, et ses yeux parlaient à sa place. Il a refusé que le touche, que je l'embrasse, et s'est mis à m'expliquer. Je suis exceptionnelle, intelligente, passionnée et passionnante, je suis belle et drôle, et les moments que nous passons ensemble sont toujours merveilleux. Mais je suis trop bien pour lui, parce que je fais des études, parce que blablabla. Je deviens folle ! Nous passons encore la nuit ensemble, et nous buvons, et nous parlons, il se confie, je l'écoute, nous ne comptons toujours pas les heures. Une vodka à huit heures le matin ? Aucun problème. Et nous rentrons chez moi. Et nous faisons l'amour. Et forcément, c'était parfait. Moi, je lui dis que je l'aime, alors il se blotti dans mon cou. Nous dormons et le lendemain, j'ai peur. Parce qu'il va s'envoler.

Il me le confirme, ce qu'il m'a dit la veille, il le pense. Alors il fera le mort jusqu'à ce que je l'oublie et trouve mieux que lui. Et il me dit " Je t'aime. "

Et il est parti.

Il est mon Monsieur Pas Prêt. Et il m'a marquée comme personne, parce qu'il est l'idéal, le fantasme, celui que j'aurais dû avoir, celui qui m'a abandonnée.

Maintenant, je vis. Pas malheureuse, juste heureuse différemment, grandie de cette expérience, sans haine, juste un regret, me convaincant qu'il avait raison et que je mérite mieux. J'aurais droit bientôt à cet oubli salutaire, c'est évident et ça me fait sourire.

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